"Biographie détaillée de Adolphe Gumery"
ADOLPHE GUMERY A PASSY
L’Association des amis d’Adolphe Gumery a organisé, en mars 2002, une rétrospective des
œuvres du peintre, à la Fondation Taylor, à Paris ; elle a reçu plus de 1200 visiteurs.
Pour beaucoup, ces œuvres majeures ont révélé un grand artiste. Les tableaux avaient été réunis sur les conseils de Viviane Morel-Izambard, sa petite-fille, selon les centres d’intérêt du peintre, tout au long de sa vie. Ainsi, sous nos yeux, se déroulait une vie consacrée à la peinture et ces œuvres nous parlaient de notre propre vie.
Ce qui fera dire à Philippe Lejeune, vice-président, dans le Bulletin de la Fondation Taylor en juillet 2002 : « J’ai beaucoup aimé la rétrospective Adolphe Gumery qui eut lieu au 4ème étage de notre maison… Ni impressionniste, ni cubiste, il ne suit d’autre école que celle de la lumière incarnée : la peinture toute seule, heureuse de se soumettre aux lois qu’elle se donne ».
Les liens entre la famille Gumery et le village de Passy commencent en 1788 : un laissez-passer autorise les sieurs Gumery à franchir les limites des bornes d’Auteuil à Passy. En effet, le châtelain de la baronnie de Sainte Hélène des Millières, en Savoie, a demandé aide et protection pour « Augustin et François Gumery, de la paroisse de Notre-Dame des Millières, gens d’honneur et de probité » qui désirent se rendre à Paris.
Mais on connaît mieux Joseph Gumery, le fondateur de cette lignée d’artistes : né en 1755, à Notre-Dame des Millières, il vient à Paris, s’y marie le 9 messidor de l’an 3, s’y installe et y meurt le 6 janvier 1823.
Son fils Nicolas Gumery, né à Paris en 1798, épouse Jeanne Tarlé vers 1825 et devient le premier instituteur de l’école de Passy, située à côté de la future Maison de Balzac : il est nommé, le 30 juin 1835, « instituteur de la commune de Passy, canton de Neuilly, arrondissement de Saint-Denis » par le ministre de l’Instruction Publique, François Guizot et il prête serment, le 31 janvier 1836. Il est membre du Comité Supérieur de l’Instruction Primaire, comme en atteste une lettre de Véron, maire de Montmartre, sous-préfecture de Saint-Denis, datée du 21 octobre 1837, le conviant à une distribution des Prix. Il devient ensuite le directeur de l’Ecole de Passy.
Nicolas Gumery a deux fils : François, né en 1826 et Charles, né en 1827. La famille habite pendant toute la scolarité des enfants, 11 rue Basse, la future rue Raynouard. L’aîné, François, deviendra officier au 3ème Voltigeur de la Garde Impériale et fera la guerre de Crimée. Le second fils, Charles-Alphonse consacra sa vie à la sculpture.
Vers 1840, un Portugais des Açores, Joâo Carvalho de Medeiros, vient s’installer rue Basse, à Passy. Il a quitté l’Ile avec sa deuxième épouse (de nationalité anglaise, comme l’était sa première femme dont il avait eu deux filles, restées aux Açores).
Il fonde une petite fabrique de savon « Miel-Dieu » ; à cette époque, la colline de Passy accueillait de nombreuses activités industrielles et artisanales, comme en témoignent la première minoterie Delessert ou les sources thermales de Passy.
Le couple et leurs nombreux enfants ne parlent guère que l’anglais et le portugais, à la surprise des habitants du village. Le père fait venir ensuite ses deux premières filles, Emilie (née en 1830) et Mary-Anne, qui sont mal reçues par leur belle-mère. Mais, un contre-maître britannique de la fabrique et son épouse les accueillent ; ultérieurement, ils favoriseront la rencontre des deux sœurs avec les deux fils Gumery, leurs voisins de la rue Basse. Emilie de Medeiros sera le grand amour de Charles-Alphonse Gumery. Celui-ci est alors étudiant aux Beaux-Arts et obtiendra le Grand-Prix de Rome de sculpture en 1850. Ils se marient en 1859 et ont deux enfants, Achille en 1860 et Adolphe en 1861. Il réalisera deux petits bustes en terre cuite, représentant ses fils, âgés de 2 et 4 ans.
Charles-Alphonse deviendra un sculpteur célèbre sous le Second Empire : en 1859, il sculpte le bas-relief de l’église Notre-Dame de Grâce de Passy, rue de l’Annonciation ; il participera à la réalisation de la fontaine Saint-Michel à Paris et collaborera, avec son ami Charles Garnier, à la décoration de l’Opéra en exécutant les groupes des deux Renommées qui brillent à nouveau au sommet du monument. Adolphe racontait volontiers ses jeux d’enfants, à l’intérieur des statues géantes, avec son frère Achille, pendant le chantier ! Etienne Dinet, collègue et ami d’Adolphe aux Beaux-Arts, a fait de ce dernier un beau portrait vers 1880.
Adolphe Gumery rencontre une jeune couturière dans la boutique de sa mère à la Madeleine, située à l’emplacement actuel du magasin des Trois Quartiers. Elle s’appelle Adrienne Coca, fille d’Arthur Coca (1837-1911) et d’Adna Hubert ; lui, est centralien, ingénieur dans les constructions publiques, originaire de La Nouvelle-Orléans ; elle, est de nature plutôt maladive, originaire de Valenciennes. Adrienne est née à Montmartre, le 7 février 1863. Elle a 7 ans pendant le siège de Paris en 70 : sur la Butte, elle panse les blessés avec du linge en charpie ; elle racontait aux siens les souffrances de cette période ; elle pliait ses genoux pour que sa crinoline touche le sol et qu’elle sente moins le froid, et avouait « n’avoir jamais mangé de rat, seulement du millet ».
Vers 1881, le père d’Adrienne revient du Mexique où il s’est remarié et a d’autres enfants ; il a fait fortune. Il demande à sa fille de revenir avec lui. Ainsi, Adrienne va passer une année au Mexique, mais elle pense à Adolphe et son père finit par autoriser son mariage, dans une lettre de 1882. Mariés en 1886, ils eurent trois enfants, Achille (1 juin 1889), Madeleine (8 mai 1896) et Roger (3 novembre 1897).
Le couple habite quelque temps, 24 rue Truffaut, aux Batignolles. C’est encore le quartier général des artistes, réunis sous la bannière de Manet, en révolte contre l’académisme et soutenus par les articles d’Emile Zola. La bande d’amis se réunissait, autour des années 60, au café Guerbois. En 70, Fantin-Latour dans « Un atelier aux Batignolles » et Bazille dans « L’atelier de la rue de La Calamine » ont restitué cette atmosphère de révolution artistique. Zola décrira ce milieu dans « L’œuvre » en 1886.
Il faut observer qu’Adolphe Gumery, jeune diplômé des Beaux-Arts en 1882, aura l’honneur, à 24 ans, d’illustrer, par 14 aquarelles, l’édition originale de « Germinal » en 1885.
A cette époque, Zola est le chef de file d’une génération de peintres et d’écrivains qui se réclament du naturalisme. Adolphe Gumery, ami de Zola et familier de la seconde génération de la bande des Batignolles, réalise un portrait de l’écrivain (1884) et participe aux soirées de Médan (La Seine au clair de lune, 1892). Plus tard, il illustrera « La Becquée » de son ami René Boylesve (1908), « Le Roman de Paris » de Victorien Sardou (1909), ou « Le Blé qui lève » de René Bazin en 1910, ou encore « Pêcheurs d’Islande » et « Mon frère Yves » de Loti (1923), dans cette inspiration naturaliste aux couleurs sombres.
En 1901, il revient dans le vieux Passy, maintenant intégré à Paris. La famille s’installe rue Basse, au numéro 43 de l’actuelle rue Raynouard. Emilie Gumery, veuve du sculpteur et mère du peintre, vient les rejoindre. Elle retrouve ainsi l’ancien village, où elle avait vécu dans sa jeunesse et rencontré son mari. Un médaillon la représente, réalisé en 1860. Madeleine fait ses études au lycée Molière, tout proche, et suit des cours de dessin à l’Atelier Colarossi et à La Grande Chaumière.
Les années passées dans la charmante et pittoresque maison du 43 rue Raynouard, située au sommet des coteaux de Passy, à coté de la Maison de Balzac, ont été, sans doute, les plus heureuses pour la famille Gumery.
Il semble qu’il n’y ait pas de progression dans son art. Toute sa vie, il peint, avec la même facture, des paysages, des portraits, des scènes de famille. Il ne faut voir ni le sujet, ni les techniques, mais ce qu’il y a d’intemporel dans son travail, l’émotion paternelle avec le portrait de son fils cerné par la mort, le deuil dans le portrait de sa femme en noir sur la grève, la saisie d’un moment de bonheur avec sa petite-fille. Il nous touche, au delà de la tristesse et de la douleur, quand il garde ses pinceaux sans perdre ses moyens. Il garde le droit d’aimer ses fils et de continuer à peindre !
C’est au 56 rue de Passy que vit Adolphe Gumery, jusqu’à sa mort, le 5 janvier 1943. Son gendre meurt en 1946, son épouse Adrienne lui survit jusqu’en 1956. Et sa fille, Madeleine, y habite jusqu’à l’année de son décès, en 1978.
Pendant cette période, Madeleine conserve de nombreux tableaux de son père et bien des souvenirs de cette lignée d’artistes ! Avec sa fille Viviane, elles ont assuré des déménagements et des sauvetages de ces œuvres, organisant des expositions ou ravivant sa mémoire.
ADOLPHE GUMERY EN AFRIQUE DU NORD
Son attitude constante aura été d’accompagner sa famille avec bagages, pinceaux et chevalet, en vacances ou au hasard des nominations de son gendre à l’étranger. Il suffit de suivre la vie de la famille Gumery pour saisir le travail du peintre ! Cette observation est particulièrement vraie pour la période orientaliste où l’artiste a tout simplement été retrouver sa fille, son gendre et sa petite-fille en Afrique du Nord.
En 1919, son gendre est professeur de lettres au lycée Chaptal, à Paris. C’est son premier poste, mais déjà, il demande une nouvelle affectation « à l’étranger ou aux colonies ».
Le peintre et le gendre éprouvent une grande estime mutuelle ; ils sont tous les deux d’un tempérament plein de gaieté et ils aiment les enfants. Les grands-parents seront de toutes les fêtes organisées pour les amis ou pour les enfants.
Algérie et Maroc.
En 1920, Pierre Izambard est nommé au lycée d’Alger. Le jeune couple- ils ont chacun 24 ans- s’installe dans la villa Le Paradou, boulevard Mustapha Supérieur. C’est le premier souvenir de Viviane, alors âgée de 18 mois : une terrasse sur la baie d’Alger, des oranges à même le sol et une balançoire. Le tableau de « Madeleine sur la terrasse » témoigne encore de cette période heureuse. Adolphe et Adrienne Gumery rendent visite à leur fille. C’est leur premier séjour en Afrique du Nord, c’est l’enthousiasme de la découverte d’une nouvelle lumière et une nouvelle inspiration artistique ! Il convient de se souvenir que le couple a perdu ses deux fils à la guerre et qu’ils sortent d’un deuil de cinq ans. En 1921, nouvelle affectation de Pierre Izambard, au lycée d’Oran où il retrouve son collègue et ami, Henry de Bouillane de Lacoste, critique reconnu des œuvres de Rimbaud.
Les Gumery reviendront fidèlement, chaque année, voir leur fille et leur petite-fille ; Adolphe découvre Alger et ses environs, à pied, en calèche ou en train ; il parcourt le pays avec pinceaux, couleurs et chevalet ; il peint ses sujets sur le vif ; les nombreux tableaux attestent de la fertilité de cette inspiration. « Le cimetière des princesses » évoque une légende algérienne ; de nombreuses études retracent des paysages ou des scènes typiques à Oran ou dans tout le Maghreb. Les marchés, les habitants, les costumes attirent son attention ; le peuple, les petits métiers se retrouvent près des animaux familiers, devant des monuments inondés de soleil. Ses peintures connaissent un grand succès et des expositions sont organisées auxquelles les musées s’intéressent. Des tableaux sont retenus par le musée d’Alger, dont « Le linge » ou « le vent » et y demeurent sans doute encore.
Il rend visite à son ami d’enfance, le peintre orientaliste Etienne Dinet qui, converti à la religion musulmane, a adopté le mode de vie arabe et s’est installé à Bou Saada. Les deux artistes sont restés très liés : ils se sont connus, en 1882, à l’Ecole des Beaux-Arts ; Dinet est, d’ailleurs, le parrain de sa fille Madeleine. On a conservé une correspondance régulière entre les anciens condisciples et des photos des deux amis prises à dos de chameaux.
Pendant ces trois années, il visite aussi le Maroc : Marrakech, Fez, Rabat. Parmi les nombreux tableaux de cette période, on peut citer «Les musiciens du sultan » exécuté dans les salons-même du Palais à Marrakech, sans oublier « L’entrée des tombeaux Saadiens », également à Marrakech.
Les Izambard reviennent passer leurs vacances d’été en France comme le voulait la coutume des Français d’Afrique du Nord. Ils séjournent chez leurs parents, soit 56 rue de Passy à Paris, chez Adolphe Gumery, soit chez le père de Pierre, Georges Izambard, 5 rue Théophile Gautier à Neuilly, mais ils partent également, en famille ou avec des amis, en Bretagne, en Normandie ou d’autres régions de France.
En 1923, Pierre Izambard est de retour en métropole ; à peine revenu, il demande une affectation à l’étranger pour un nouveau départ : justement, le ministère de l’Education était en train de créer une mission de 24 professeurs, sous contrat de cinq ans, pour enseigner dans le nouveau royaume de Roumanie. Pierre est nommé à Salonta Mare, en Transylvanie, région de tradition et de langue hongroises. Mais les conditions de vie s’avèrent très difficiles : une langue inconnue, un logement inconfortable, le froid, et le traitement promis se révèle misérable ; on est loin des promesses du départ ! Viviane attrape la dyphtérie ; les lettres du couple aux parents Izambard et Gumery racontent leurs mésaventures. D’autorité, Pierre, au nom de tous les autres professeurs français, finit par demander une audience au roi de Roumanie pour lui dire l’extrême détresse dans laquelle ils se trouvent et solliciter le droit de revenir en France dès 1924. Cette même année, voilà donc de retour, les trois rapatriés, sur le quai de la gare, amaigris, habillés en tsiganes, avec armes et balluchons !
Tunisie.
Après cette brève aventure en Roumanie, ainsi qu’une nomination éclair au lycée de Chaumont, c’est en 1925 que les Izambard rejoignent leur nouvelle affectation à Sousse, en Tunisie.
Pierre enseigne au lycée qui vient d’être inauguré ; ce bâtiment, flambant neuf, pourrait symboliser la modernité d’une France conquérante, à l’image des jeunes professeurs qui forment l’équipe enseignante. Les Izambard ont 28 ans ; leurs amis Maurice et Hélène Giusti, à peine 23 ans. Ils ont laissé à Paris, le docteur Félix Scali et sa femme, Marianne Barsky, également médecin, l’amie d’enfance de Madeleine, et leur fils, Pierre Scali, le « presque jumeau » de Viviane, qui les rejoindront à Oran. Cette petite troupe et biens d’autres amis suivront les Izambard dans leurs pérégrinations à Sousse et, plus tard, en France ou en Belgique (et notamment, à La Panne).
On imagine aisément le patriarche Adolphe Gumery suivant la joyeuse bande d’amis, jamais le dernier pour participer à la fête, souvent avec ses pinceaux et son chevalet. Bien d’autres amis les visitent comme une des élèves du peintre, Marie Mors-Boylesve, la sœur de l’écrivain René Boylesve, dont il avait illustré plusieurs livres, ou une amie d’enfance de Madeleine, Colette Nel, peintre elle-même, la future femme du psychanalyste René Allendy.
Le meneur est assurément Pierre Izambard, suivi par Hélène Giusti toujours pleine d’entrain, Madeleine, plus réservée et Maurice Giusti le raisonnable de la bande. Du haut de ses 10 ans, Viviane n’est pas la dernière pour suivre le groupe. Hélène Giusti retrouvait, sans doute, dans le patriarche, l’image de son propre grand-père, que le goût de la fête, l’envie de rire et la jeunesse d’esprit lui rappelaient. Toute sa vie, elle évoquera « Monsieur Gumery » et le couple Giusti restera fidèle à l’amitié d’Adrienne Gumery et de sa fille, par des visites régulières, rue de Passy.
A Sousse, la famille habite au 24 de la rue Jules Ferry, à côté de l’avenue Cranz et du casino. Ils logent dans un modeste appartement de fonctionnaire, situé dans une villa donnant sur la plage ; Viviane s’en souvient bien : on y accède par un escalier assez raide ; il est composé d’une cuisine, d’une petite terrasse ouvrant sur la mer, d’une salle à manger et de deux chambres blanchies à la chaux et décorées de carrelage ; le tableau « Bergers sur la plage » en fixe le souvenir.
Le peintre viendra chaque année les retrouver, à Sousse, dans cet appartement. Il travaillera beaucoup en Tunisie, peignant chaque jour comme à son habitude ; plusieurs expositions seront organisées en son honneur à Tunis et à Sousse. Il présente régulièrement ses œuvres aux Salons. L’Etat lui passera plusieurs commandes. On peut citer « Le portrait d’Halima sur la terrasse » ou « Le Fondouk » où chameaux et mulets font halte, « Les débardeurs de charbon dans le port de Tunis » ou « Les petits brodeurs de Tunis ».
Deux anecdotes plus cruelles marquent le séjour de 5 ans en Tunisie : peu de temps après leur arrivée, le père et la fille se trouvent au marché des chameaux ; en montrant à Viviane un jeune chameau, Pierre Izambard se fait mordre férocement la main par le mâle ; l’animal le lance en l’air et le jette à terre, à six reprises, sans cesser de le mordre. Il en gardera une main mutilée pour la vie.
En 1929, la jeune Viviane attrape la scarlatine, puis transmet la maladie à sa mère. Pour Madeleine qui a 32 ans, c’est une maladie grave ; après des soins infructueux, elle est condamnée. C’est alors qu’un jeune médecin tunisien, le docteur Gachem, ami de Maurice Giusti, propose une dernière tentative : pour activer le cœur, il appliquera un fer à repasser brûlant sur la poitrine de la malade. Viviane est enfermée dans sa chambre ; Adolphe et Adrienne sont là, Pierre, bien sûr, et son collègue de lycée. Viviane entend un cri terrifiant et, comme on lui avait dit que sa maman allait mourir, elle croit que c’est la fin. Mais le diagnostic du docteur Gachem était juste : Madeleine est sauvée par ce traitement anticipateur ! Pour la longue période de convalescence, on met à sa disposition un grand jardin, que l’on retrouve dans plusieurs tableaux dont « Lapins dans un jardin à Sousse ». L’un des derniers tableaux orientalistes raconte « L’exode » où l’on voit un campement de nomades sur une colline, au pied d’un arbre. Ce grand tableau, exécuté près de Sousse, a été offert par sa fille, Madeleine Izambard, à l’Office de la Tunisie à Paris, en 1948.
Ces tableaux, maintenant dispersés, réapparaissent périodiquement au gré des ventes publiques consacrées à l’orientalisme, comme ce « Jeune garçon dans l’amphithéatre d’El Djem » en 2002 à Drouot.
1930 est une année de mouvement dans la petite communauté : Hélène Giusti souhaite rentrer en France ; Madeleine voudrait profiter, enfin, du pays après sa convalescence, mais Pierre a la bougeotte. Finalement, tout ce petit monde se rapatrie et se retrouve en vacances à Carolles dans le Cotentin.
Comme d’habitude, les grands-parents Gumery suivent le mouvement et les tableaux témoignent des étapes des séjours, notamment «Hélène Giusti sur la plage de Carolles» ou les nombreux portraits, études ou paysages de Bretagne ou de Normandie.
Parmi les voyages que fit le peintre, on peut s’étonner qu’il n’ait pas cherché à visiter l’Italie. Il faut se souvenir que les artistes français de la première moitié du XIXème redécouvrirent les peintres de l’Age d’Or espagnol et que le pèlerinage auprès des maîtres de Madrid a influencé la progression de la jeune peinture menée par Courbet, Delacroix et Manet. Comme les peintres de sa génération, Gumery était plus attiré par l’Espagne où il s’est rendu plusieurs fois, notamment en 1910, d’où il rapporta « Les coulisses de la Plaza » une grande toile tragique où les chevaux agonisent après la course de taureaux, à Madrid, et toute une série de vues de Tolède.
Quand le prix Gillot-Dard lui fut attribué, en 1931, pour « Le voyage », c’est en Espagne qu’il retourna, avec sa femme, sa fille et sa petite-fille. Il exposera, alors, au Salon, deux tableaux qui furent remarqués : « La Vierge Noire de Monserrat » et « Les oies du cloître de la cathédrale de Barcelone » dont il fit plusieurs esquisses.
LES DERNIERES ANNEES
Après deux brèves affectations à Joigny (1930), puis à Vendôme (1931) pour suivre son ami Henry de Bouillane de Lacoste, Pierre Izambard est nommé, en 1936, au collège d’Etampes. Ce sera son avant-dernière affectation importante et la dernière période artistique de son beau-père.
Parmi ses élèves de 6ème, Pierre Izambard remarque trois élèves « pas comme les autres » : Hélène, Gabrielle et Henri Charpentier, ils sont doués, fantaisistes, cultivés mais leurs études ont été conduites de manière anarchique ; si bien que leur mère, Gabrielle Charpentier, vient demander des leçons particulières pour ses enfants. L’enthousiasme est réciproque entre ces deux familles gaies, bohèmes et littéraires.
Le dernier maillon qui entourera la vie et l’inspiration d’Adolphe Gumery se met en place. Le poète Henry Charpentier, président de l’Académie Mallarmé et sa femme, Gabrielle Charpentier, sont au centre de groupes littéraires et artistiques, où se retrouvent les successeurs d’Henri de Régnier, de Paul Fort (le « Prince des poètes » dont le peintre avait fait un portrait), et Vincent Muselli, qui dédia à Pierre Izambard quelques poèmes.
Comme d’habitude, le peintre et sa femme rejoignent leurs enfants à Etampes ; les sites et les personnages deviennent aussitôt les motifs de nouveaux tableaux, comme en témoignent les portraits de «Gabrielle Charpentier » ou de sa fille, l’autre Gabrielle en amazone, ainsi que de nombreuses études. Ces nouveaux personnages s’intègrent à la chaîne des fidèles de la bande ! Et tout ce petit monde se retrouve, sous le regard et le pinceau du patriarche, pour discuter, rire et faire la fête avec lui, tant à Etampes et Paris qu’en vacances, notamment, à Carolles et à La Panne sur le littoral belge.
Le tableau « La véranda à La Panne » raconte une de ces réunions littéraires et amicales : nous nous trouvons dans la villa du musicien et poète Charles Herbiet et de son épouse Elsa ; Henry Charpentier, debout, dit un de ses poèmes ; sa femme est assise à côté de Madame Herbiet et du petit Claude. On reconnaît, à droite, Pierre et Madeleine Izambard. Il ne manque, ce jour-là, que les Giusti, les Scali ou Pierre Lorquet, fils d’un condisciple d’Adolphe Gumery au lycée Henri IV, le professeur d’Histoire de l’Art, Paul Lorquet, pour que la bande soit au complet.
Pendant que les adultes écoutent de la poésie dans la véranda, les enfants jouent à côté, emmenés par Viviane Izambard, l’aînée de cette seconde bande, sans rien perdre de ce que se racontent les parents ! Plus tard, Pierre Scali épousera Denise Herbiet. Viviane se souvient très bien de Charles Herbiet chantant « les études latines » de Reynaldo Hahn, sur des poésies de Leconte de Lisle. Elle les chantera, par la suite, pour le plus grand plaisir de son grand-père, qui aimait la musique. On peut citer, à cet égard, une lithogravure de Gumery, de 1903, où il se représente lui-même, « Au poulailler des Concerts Lamoureux », concentré sur ce qu’il écoute.
Adolphe et Adrienne Gumery habitent toujours l’appartement du 56 rue de Passy ; le peintre travaille chaque jour au 47, dans un atelier niché dans la verdure. Le vieux pavillon est toujours mal chauffé et inconfortable. Le second atelier est occupé par un autre peintre ; le troisième, par un sculpteur. Ils se montrent leurs œuvres ; les enfants jouent dans le petit jardin. Les constructions neuves commencent, alors, à cerner ce vieux Passy pittoresque, témoin du XIX ème siècle
En 1939, son gendre est nommé au Lycée Janson de Sailly dans le XVIe arrondissement de Paris, non loin de la rue de Passy. Un jour, comme il le faisait souvent dans le métro ou dans les lieux publics, il déclame des vers à la cantine du lycée ; « c’est du Muselli !» crie un de ses collègues, qui enchaîne, à haute voix, la suite du poème. Il s’agissait de Jean Morel qui deviendra bientôt le mari de Viviane.
Mais les temps sont difficiles, c’est la guerre, avec les restrictions alimentaires et le froid. Gumery qui a 80 ans continue, pourtant, de peindre chaque jour.
Son gendre, à peine nommé dans son nouveau lycée s’engage dans l’armée. Il participera, en 1944, à la libération de Paris et sera cité par le futur maréchal Juin, pour fait d’armes dans les combats menés autour de Notre-Dame.
Viviane part travailler à l’ambassade de France au Portugal. Le peintre veut apprendre le portugais, comme il avait, auparavant, tenté d’apprendre l’arabe ! Mais, en 1938, au retour d’une séance du jury de la Société Nationale des Beaux-Arts, il fait une mauvaise chute et se casse le col du fémur. Transporté en voiture, rue de Passy, il n’en sortira plus. En 1942, chez lui, il peint encore ; il imagine « Retour des Indes à Belem ». Sa santé se détériore rapidement : Viviane obtient un laissez-passer pour venir le voir, en août 1942 ; il en profite pour faire un dernier portrait de sa petite-fille tant aimée « Viviane » ! En décembre 1942, achevant « Les soucis », Adolphe Gumery déclare à sa femme que ce sera son dernier tableau. Il meurt le 5 janvier 1943, à 82 ans.
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Peintre actif entre 1877 et 1942, Adolphe Gumery permet de mieux comprendre le lien culturel entre le Second Empire et l’art moderne. Il a connu trois guerres, un empire colonial et les avant-gardes : la débâcle de 70 dans son enfance, la douleur de perdre deux fils en 14 et en 17 dans la période de maturité, la seconde guerre mondiale au temps de la vieillesse.
Il est le maillon d’une lignée artistique : le fils du sculpteur honoré de la Cour impériale, le père d’Achille qui avait commencé une carrière de décorateur, de Roger qui se destinait à la peinture et à l’illustration et de Madeleine qui allait devenir peintre d’icônes.
Ami de Zola, il participe aux batailles des naturalistes pour peindre une nouvelle réalité, des illustrations de Germinal (85) aux « Hospitalisés » (1912).
Ses tableaux prennent des couleurs qui s’appelleront fauves, lorsqu’il peint, dès 1900, des « barques à Port Manech ».
Mais il a aussi fréquenté les artistes et les intellectuels du siècle nouveau réunis à la Chartreuse de Montreuil sur Mer (1912). Il a croqué sur le vif « Les Ballets russes » en 1928.
Et, étonnant raccourci de l’Histoire, la famille Gumery a rencontré la famille Izambard. Le fils du sculpteur officiel de Napoléon III et la petite infirmière de la Butte Montmartre se sont liés d’amitié avec le découvreur du génie adolescent qui arpentait les barricades de la Commune ! Le mariage de Madeleine Gumery et de Pierre Izambard est le symbole de cette rencontre.
Enfin, en suivant sa famille en Afrique du Nord, entre 1920 et 1930, il découvre les couleurs nouvelles et la lumière des Orientalistes – sans doute, l’aboutissement de son travail.
Il est difficile de classer Gumery dans les écoles artistiques : sa manière ressemble à celle d’un Grand Prix de Rome qu’il n’a jamais été. Il a peint dans la tradition : néo-classique à la sortie des Beaux-Arts, naturaliste et fauve au tournant du siècle, puis post-impressionniste entre les deux guerres. En dehors des courants, des avant-gardes et des galeries, il a, d’abord, choisi la couleur et le plaisir de peindre, rejoignant tantôt une école, tantôt une autre, au gré de sa vie familiale. Le plaisir de peindre chaque jour, quelle leçon de culture vivante !
En 2002, avec le temps, nous avons un autre regard sur une œuvre qui s’impose. Il est dans la lignée des grands artistes qui se moquent de l’histoire de l’art ; il est de ceux qui ont peint pour la couleur, le plaisir et les amis. Ce maître discret dialogue avec les plus grands, Courbet, Renoir, Derain et Dinet.
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Viviane Morel-Izambard a fêté ses 80 ans en 1999, au milieu des tableaux de son grand-père.
Elle était entourée de nombreux amis et, en particulier, de la seconde génération des modèles du peintre : Marie-Claude Krafft, petite-fille de Marie Izambard, Anne Leithauser, fille de Pierre Lorquet, Emilie Cantrel-Van Taack, petite-fille de Gabrielle et Henry Charpentier, Julien, fils de Maurice et Hélène Giusti, sans oublier de citer Sophie Debouverie, sa filleule, ni Marie-José Stein, filleule de son mari, Jean Morel. C’est l’œuvre du peintre qui a réuni cette nouvelle famille ; c’est aussi l’amitié que Viviane a su entretenir autour de la mémoire de son grand-père. Pour mieux connaître l’œuvre d’Adolphe Gumery, il faut toujours suivre sa famille !
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A s s o c i a t i o n d e s a m i s d u p e i n t r e A . G u m e r y
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